Les autorités françaises ont pu pirater les terminaux EncroChat en s’appuyant sur des outils de surveillance numérique protégés par le secret défense. Voilà ce qu’a jugé ce matin le Conseil constitutionnel.
Le 29 mars dernier, plusieurs avocats se succédaient à la barre du Conseil constitutionnel pour adresser un déluge de critiques à l’encontre d’un article du Code de procédure pénale bien peu respectueux, à leurs yeux, des libertés et droits fondamentaux.
Cette disposition avait permis à la gendarmerie française d’intercepter, analyser et décrypter une myriade de messages chiffrés sur les terminaux Encrochat. S’ensuivaient de nombreuses saisies de drogues, d’avoirs et d’arrestations, et déjà de premières condamnations.
Cette intervention avait été rendue possible grâce à l’article 706-102-1 du Code de procédure pénale, qui autorise le procureur de la République ou le juge d’instruction à avoir recours aux moyens de l’État « soumis au secret de la défense nationale ». Une véritable passerelle entre le judiciaire et le renseignement pour utiliser des outils couverts par le secret défense.
Cette particularité avait concentré toutes les critiques. Me Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, représentant également la Ligue des droits de l’Homme et l’Association des avocats pénalistes, avait été jusqu’à dénoncer une « barbouzerie James-Bondesque » disproportionnée.
« L’enjeu n’est pas d’interdire ou d’empêcher le recours à des moyens technologiques qui permettent à des enquêteurs de casser le cryptage qui servirait à la dissimulation d’information. L’enjeu n’est pas de désarmer l’État », indiquait-il devant les neuf Sages :
« L’enjeu est que le recours à ces moyens hors du commun soit suffisamment encadré et organisé par le législateur pour que puissent s’exercer les droits qui sont normalement dévolus à toute personne mise en cause dans une enquête pénale. Or pour le moment, en l’état de ces textes, il n’en est rien ».
Avec le secret défense, embrayait Me Robin Binsard, avocat de Saïd Z., l’une des personnes tombées dans les filets de cette opération, « concrètement cela veut dire qu’on vous attribue des messages, des données, des enregistrements vocaux, des contenus, mais qu’il vous est impossible de savoir d’où viennent ces données, si elles sont authentiques, comment elles ont été collectées, et dans quel contexte ». Les garanties procédurales ? « Du vide, du vent, vous n’avez aucune garantie procédurale. Il n’y a pas de critère, il n’y a pas de recours ».
Atteinte aux droits de la défense, aux principes de l’égalité des armes et du contradictoire, au droit à un recours juridictionnel effectif, au droit au respect de la vie privée, au droit à la protection des données personnelles, au secret des correspondances et au final à la liberté d’expression. En somme, une boucherie constitutionnelle, que les avocats ont lourdement condamnée.